Maurice_Genevoix |
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Maurice Genevoix à la fin de sa vie |
Naissance | 1890 à Decize |
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Décès | 1980 en Espagne |
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Activité | Écrivain |
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Nationalité | France |
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Genre | Ecrits de guerre, romans-poèmes |
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Sujet | Grande Guerre, Val de Loire |
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Mouvement | Roman rustique |
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Influences | Balzac, Daudet, Emerson, Flaubert, Hugo, Maupassant, Stendhal, Thoreau, Tolstoï, Whitman |
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Récompenses | Bourse Blumenthal pour Remi des Rauches (1922), Prix Goncourt pour Raboliot (1925), Grand Prix National des Lettres pour l'ensemble de son oeuvre (1974) |
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Maurice Genevoix est un romancier-poète français, héritier du Réalisme, qualifié à tort d’écrivain régionaliste pour avoir célébré le Val de Loire. L’ensemble de son oeuvre témoigne des relations d’accord, d’entente, de consentement entre les êtres vivants : entre les hommes essentiellement, mais aussi entre l’homme et les bêtes. Son écriture est servie par une mémoire très sûre, une acuité des sens exceptionnelle, et un souci d’exactitude capable de traduire la réalité inexprimable des choses. Brillant normalien, il dispose d’une grande culture littéraire dans laquelle il ne puise cependant qu’avec discrétion, privilégiant davantage l’éloquence des gens simples qu’il n’a cessé de côtoyer. D’une grande vitalité malgré une triple blessure aux Éparges, en avril 1915, et animé d’une indéfectible volonté de témoigner, il écrira jusqu’à ses derniers jours. Son oeuvre, gouvernée par le seul souci de témoigner avec précision de ce qu'il tenait pour mémorable, rassemble une cinquantaine d’ouvrages.
Biographie
Son enfance
Descendant d'un aïeul
genevois catholique ayant fui la
Genève calviniste vers 1550-1560 pour rejoindre la Creuse, et dont le nom prend alors un -x, comme « désinence du pays des châtaignes », Maurice Genevoix est issu d'une famille de médecins et pharmaciens par sa lignée paternelle. Son père Gabriel Genevoix rencontre Camille Balichon à Châteauneuf-sur-Loire. Il naît le 29 novembre 1890 à
Decize, dans la
Nièvre, à 35 km en amont de
Nevers. Un an plus tard, ses parents migrent à Châteauneuf-sur-Loire, son grand-père maternel devenu malade, pour reprendre une affaire familiale, un « magasin » réunissant une épicerie et une mercerie. Son frère René naît en 1893.
Sa mère meurt le 14 mars 1903 d'une attaque d'éclampsie, alors qu'il n'a que douze ans. C'est sa première véritable expérience de la mort : « Comment croire réellement à cette immobilité aux yeux clos, à ce froid de marbre sous ma bouche, à cette absence solennelle et dure ? Le veuvage de son père, de nature réservée, le laisse esseulé. « La maison m'était devenue lourde. » Aussi s'échappe-t-il avant l'aube pour flâner, une gaule à la main, sur les grèves de la Loire et ne revenir qu'au soir, tenant déjà les germes de futurs écrits (Rémi des rauches, la Boîte à pêche, Agnès, la Loire et les garçons).
Ses études
Il est brillant élève, reçu premier du canton au certificat d'études, avant d'entrer au
Lycée Pothier à
Orléans où il est interne. Il est également pensionnaire au
Lycée Lakanal à
Sceaux, où il est khagneux durant trois années (1908-1911), avant d'être admis à l'École normale supérieure, rue d'Ulm. Il effectue une des deux années de service militaire, comme le permettait alors le statut particulier des jeunes Français admis aux grandes écoles. Il est affecté à Bordeaux, au 144
e Régiment d'infanterie. Il entre ensuite à l'École normale supérieure et, deux ans plus tard, présente son diplôme de fin d'études supérieures sur « le réalisme dans les romans de
Maupassant ». C'est à cette période que la perspective d'écrire lui paraît envisageable. « On peut toujours essayer », se dit-il à cette période. Mais ce sont plus encore les encouragements de Paul Dupuy, qui l'encourage ardemment à écrire son témoignage de guerre, qui l'emporteront sur l'orientation du jeune Genevoix.
Il est alors cacique de sa promotion. Mais il lui reste à accomplir une dernière année d'études universitaires pour se présenter à l'agrégation et aborder une carrière universitaire. Il pense alors à se faire nommer « comme lecteur dans une université étrangère, Upsal, Copenhague par exemple », par désir de « connaître des formes de cultures originales », mais également dans le dessein de disposer de « six mois de loisirs pour écrire. » Car son désir d'écrire était présent dès l'adolescence. Le récit de la visite de l'Exposition universelle à Paris, en 1900, alors qu'il est âgé de dix ans, est présenté au Musée Maurice Genevoix. Ce texte témoigne du talent précoce de l'écrivain pour relater avec soin et détail ds expériences vécues, avec une fidélité aux faits rares chez un enfant.
Dans Trente mille jours, il confie l'idée très tôt apparue d'un « cycle de romans, chacun d'eux autonome, libre dans le choix des personnages, des milieux, des époques, mais tous ancrés à cette tour carrée, à son clocher dardé au-dessus des abat-son, que j'ai vu toute ma vie pointer au bout de la Grand' rue, en plein ciel, sur la houle des toits ».
La guerre
Mais le 2 août 1914, son destin est bouleversé. Maurice Genevoix est mobilisé lors de la Première Guerre mondiale en
1914. Il notera : « Dans le temps, cela ne fait même pas le quart de la guerre. Mais si l'on prend comme référence le chiffre des morts, cela en fait la moitié. En l'occurrence, on a tort de compter chronologiquement, il faut compter d'après les croix de bois. » La guerre fera de lui un survivant. Sur les cinq camarades de chambrée de l'École normale supérieure, trois mourront au front et deux, dont lui-même, reviendront gravement mutilés.
Il sert comme sous-lieutenant dans le 106e, une des unités les plus exposées depuis les début des hostilités, devant peut-être en partie sa survie à sa remarquable condition physique. Dans son discours prononcé à la mort de l'écrivain le 25 septembre 1980 à l'Académie française, Michel Déon risquera cette question : « Sans la résistance acquise lors de sa première année de service, aurait-il jamais supporté les atroces conditions de combat dans les tranchées, puis ces blessures au bras et au flanc gauche qui le marquèrent pour le restant de sa vie ? » Neuf mois durant, il entretient une correspondance régulière avec de nombreux amis et Paul Dupuy, secrétaire général de l'École normale supérieure. Genevoix est très grièvement blessé de trois balles le 25 avril 1915 sur la colline des Éparges (Meuse). Deux balles l'atteignent au bras gauche et une autre à la poitrine. La lettre du Docteur Lagarrigue, adressée à Maurice Genevoix le 2 mai 1915, témoigne de la gravité de ses blessures : « Je suis navré de vous savoir si grièvement touché. Mon pauvre vieux, c'est avec une émotion profonde que je vous ai vu, accablé de fatigue et j'oserais dire de « gloire », sur cette poussette incommode qui vous amenait à Morilly. Je n'ai pensé qu'à vous expédier au plus vite à Verdun, car votre pâleur m'inquiétait beaucoup. Je suis navré certes, mais rassuré maintenant ; je craignais le pire, et l'absence de nouvelles m'impressionnait péniblement. » Il est soigné sept mois durant, « balloté d'un hôpital à l'autre » : Verdun, Vittel, Dijon, puis Bourges. La guerre restera pour l'écrivain « une question d'intensité », nourrie « d'ardeur à vivre, de respect et d'amour de la vie » dont il ne se départira plus.
La rencontre des Vernelles
Gravement atteint de la grippe espagnole en 1919, il retourne dans son
Val de Loire où, dans « l'ivresse des retrouvailles », il recouvre ses forces au contact des artisans, des paysans, des pêcheurs et des bateliers. En 1927, tirant parti de la « manne providentielle » que lui a apporté le
Prix Goncourt pour
Raboliot (1925), il rachète une vieille masure abandonnée au bord de la Loire, à 8 km en aval de Chateauneuf-sur-Loire, à Saint-Denis-de-l'Hôtel, au hameau des Vernelles. C'est une rencontre heureuse, s'agisant d'une « vieille maison, une paysanne, tassée sur elle-même, abandonnée au bord de l'effondrement ; et néanmoins - comment dire ? - rêveuse, pleine de mémoire et souriant à ses secrets. » Il y passe un premier été, en compagnie de son chat Rroû, épisode dont il tirera un roman du même nom. Après la mort de son père, emporté par une pneumonie en juillet 1928, il s'y installe en 1929, pour un premier séjour de vingt ans. C'est dans cette maison, dans un bureau donnant sur la Loire, qu'il écrira l'essentiel de ses livres, parfaitement conscient du privilège dont il dispose : « Il est des lieux privilégiés, amis des hommes, de leurs travaux et de leurs rêves. »
Il épouse en 1937 Yvonne Montrosier, originaire d'un village proche de Saint-Affrique, mais qui mourra l'année suivante. De juin 1940 à début 1943, il quitte les Vernelles, en zone occupée, pour s'installer en Aveyron, chez ses beaux-parents. Il se marie en 1943 avec Suzanne Viales, mère de Françoise, puis rejoint les Vernelles, qu'il retrouve « saccagées par des pillards, profanées, comme désâmées. » En 1944 naît sa fille, Sylvie.
L'Académie française
Elu le 24 octobre, sans concurrent, puis reçu le 13 novembre
1947 par
André Chaumeix, il entre à l'
Académie française au fauteuil de
Joseph de Pesquidoux. Il s'était porté candidat en 1946 mais se retira devant
Paul Claudel. Quatre ans plus tard, il s'installe à Paris, qu'il apprend à aimer, dans un appartement de l'
Institut, quai Conti.
Il devient secrétaire perpétuel de l'Académie française en octobre 1958, succédant à Georges Lecomte. Les charges de sa fonction sont très absorbantes. De 1958 à 1963, il rédige personnellement le discours d'attribution à chaque lauréat des grands prix de littérature, du roman, de poésie, ou d'histoire (prix Gobert). Sous son impulsion, l'Académie française affirme sa présence et sa compétence au sein du Haut Comité de la langue française, créé en 1966, et du Conseil international de la langue française.
Il démissionne de l'Académie en janvier 1974, ce qu'aucun secrétaire perpétuel n'avait fait avant lui. Il s'en explique dans La Perpétuité, un ouvrage paraissant la même année, où il raconte les joies, les obligations, mais aussi les contraintes de sa charge de secrétaire perpétuel : « L'Académie multiséculaire n'en est pas à un perpétuel près. Elle a les siècles pour elle. Elle est sage et magnanime. Elle ne m'en voudra pas, écraivain que je suis et soucieux comme nous tous, même ceux qui prétendent le contraire, de laisser l'ombre d'un sillage sur l'océan du temps sans rives, d'avoir changé de perpétuité. »
La retraite aux Vernelles
Il quitte alors Paris pour retrouver ses chères Vernelles : « J'y ai vécu de ma vie d'homme, et je sais à présent qu'elles sont mon méridien, mon port d'attache, mon ancre de salut. » Les mêmes propos seront rapportés par Fernand d'Aubel, dans
Un Jour, avec davantage d'acuité : « Ici, comme Thoreau à Concord, j'ai trouvé mon méridien : bonne façon d'embrasser l'univers, de rejoindre l'enfance et de garder ainsi, vaille que vaille, le contact avec le monde vrai dont la puberté nous sépare. »
Devenu octogénaire, il écrit régulièrement et publie Un Jour (1976), puis Lorelei (1978) et Trente mille jours (1980). À l'âge de 89 ans, il nourrit encore un projet d'écriture : « Je voudrais écrire un roman, sur le passage de l'enfance à l'adolescence. Je souhaiterais rendre sensible le génie poétique de l'enfance, et le drame qu'est la disparition de ce génie. Et je mettrais en épigraphe à ce livre cette phrase de Hugo : l'un des privilèges de la vieillesse, c'est d'avoir, outre son âge, tous les âges. »
Il meurt d'une crise cardiaque le 8 septembre 1980, en vacances dans sa maison d'Alsudia-Cansades, près de Jávea (province d'Alicante) en Espagne. Sur sa table d'écrivain, il laisse son dernier projet de roman intitulé Vent de mars, de même qu'un projet baptisé Nouvelles espagnoles. Mais Maurice Genevoix avait depuis longtemps consenti à ce dernier appel : « Il n'y a pas de mort. Je peux fermer les yeux, j'aurai mon paradis dans les coeurs qui se souviendront. »
L'oeuvre
Christian Melchior-Bonnet fixe les traits principaux de Genevoix : « à la fois sensible et viril, précis et poétique ».
Michel Déon, plus sobrement encore, le dit « viril et tendre ». C'est peut-être cette singularité, ce double-paradoxe résolu, qui fait par dessus tout la grandeur de cet écrivain. Mais c'est aussi le fruit d'une alchimie qui invite à la sympathie : « Ses livres portent tous la marque du travail aimé, longuement mûri, nourri de vie intérieure, d'impressions accumulées, et transformant par la mystérieuse chimie de l'art une matière observée avec soin en une oeuvre riche de songes. » Mais les écrits de Genevoix traduisent tout autant une obsession de la lutte contre l'oubli, d'apporter un témoignage vivant « dans le même désir de perpétuer ce qu'il tenait déjà pour mémorable ». Dans son oeuvre exégèse
Jeux de glaces, Maurice Genevoix décline l'ensemble de son oeuvre en quatre périodes présentées ci-après.
Les livres de guerre
Toute l'oeuvre de Maurice Genevoix doit à sa formation initiale « d'écrivain de guerre ». Son souci d'exactitude et de précision, de rigueur dans la relation, dans l'évocation des instants saisis au vol, à jamais gardés en mémoire, ne l'abandonneront plus. Il se révèle persuadé, comme le comprend Norton Cru dans son livre
Témoins, que « toute exagération, toute note forcée, toute note apocalyptique ne peuvent qu'affaiblir l'effet de la réalité ». Aussi précise-t-il que dès la rédaction de son premier volume de guerre (
Sous verdun), il s'en tint au même point de vue : « n'être qu'un traducteur scrupuleux, restituer en exprimant, écarter jalousement, s'il m'arrivait d'en être tenté, toute velléité d'arrangement ou d'affabulation, de mise en scène préméditée en vue de quelque effet que ce fût ». Ses lectures l'y avaient préparé.
En décembre 1915, ses carnets de guerre rassemblent quelques notes griffonnées, composées des notations ordinaires d'un chef de section (ordres de bataille, instructions diverses, liste des secteurs, dates). Les quatre premiers chapitres de Sous Verdun seront esquissés sur le front, dans les intervalles de repos. Mais c'est sa mémoire, fidèle et très sûre, qui sera son meilleur allié. Ces notes s'achèvent d'ailleurs très tôt, le 6 septembre 1914. Maurice Genevoix regrettait que l'on eût souvent donné une importance exagérée à ces fameux carnets, précisant dans La Perpétuité : « Moi aussi, scribe hâtif mais ponctuel des batailles d'août et de septembre, j'avais vite renoncé à l'effort d'écriture que la tyrannie des épreuves quotidiennes - les longues marches, les veilles harassantes, la pluie, la boue, le danger aussi - rendait de plus en plus pénible. » L'amorce littéraire des écrits de guerre de Maurice Genevoix ne réside d'ailleurs pas tant dans ces carnets que dans les lettres de 1915 qu'il écrivit, depuis le front, au secrétaire général de l'École normale supérieure, Paul Dupuy. Quelques mois plus tard, au terme du séjour hospitalier de Genevoix, Dupuy devient l'intercesseur auprès des éditions Hachette, en la personne de Guillaume Bréton, qui remet alors à l'ancien normalien un contrat pour un livre qu'il rédigera « en quelques semaines seulement, d'un élan ». Entre-temps, Dupuy n'aura cessé d'exhorter Genevoix d'écrire, alors même que celui-ci n'avait pas encore quitté l'hôpital de Dijon, l'encourageant à reprendre jour par jour tous ses souvenirs. Ainsi écrit-il le 16 juin 1915 : « C'est votre pouvoir à vous de charger de sens les moindres mots ou les gestes les plus simples. » Puis le 20 juin 1915, se faisant plus pressant : « J'aurais un grand chagrin si tout ce qu'il y a d'art en toi demeure en l'état de puissance latente et ne se réalise pas dans la plus riche des matières. »
Son témoignage de soldat, scrupuleusement relaté dans cinq volumes écrits entre 1916 et 1923, rassemblés dans Ceux de 14, est un document précieux sur la vie des poilus. « À l'origine, dira-t-il, ce qui m'a poussé à écrire, c'est le désir de témoigner. » Le récit de Genevoix est servi par une mémoire exceptionnelle, vive et fidèle, forgée par une capacité extraordinaire à saisir l'instant, à transcrire l'indic« ible, à la faveur d'une attention naturelle de tous ses sens. Il ne lui suffit que de se rappeler. À la faveur de l'isolement et de la concentration intérieure, chaque épisode reprenait vie », se souviendra-t-il dans Trente mille jours. Dès lors, il revit et raconte fidèlement « le passage de la Meuse, la retraite, les jours de la Marne, les batailles des Hauts-de-Meuse à l'automne, les massacres de la boue des Eparges, la guerre de mines, les surprise, les alertes ». Ces écrits sont considérés comme l'une des plus grandes oeuvres de guerre de tous les temps.
Les livres régionalistes
Une seconde période démarre avec Rémi des Rauches, en 1922, qui vaut à son auteur la remise d'une bourse Blumenthal. Maurice Genevoix est bien vite catégorisé comme « écrivain régionaliste », étiquette qu'il n'aimait guère, ne s'admettant régionaliste qu'au sens topographique du terme, considérant au reste que tout écrivain déploie nécessairement son art dans un contexte régional. Cette période féconde est couronnée par Raboliot, prix Goncourt en 1925, un roman de Sologne, certes, dont la scène reste bornée par la Sauldre et le Beuvron, mais un chef-d'oeuvre universel, où l'homme livre un combat contre une nature animale qu'il ne peut réprimer, s'ouvrant à ses passions premières au prix de sa propre liberté. Pourtant, l'écrivain ne donnera pas suite à ce qui était alors, comme il s'en expliquera dans la préface à sa biographie Au cadran de mon clocher, les premiers volumes d'un cycle consacré aux esprits simples de la Loire. Une inépuisable curiosité l'emmenant bien loin des rives de la Loire, tout autant qu'un irrépressible besoin de poésie, auront raison de cet ambitieux projet.
En outre, sans doute Genevoix souffrait-il ici d'avoir été mal lu : « L'épreuve n'est pas toujours agréable, pour l'écrivain qui s'entend louer à bout portant. » Il appréciait bien davantage cette « consonance active » qu'il reconnaissait parfois chez ses lecteurs.
Les livres du voyageur
Maurice Genevoix, on le sait, s'était destiné à l'enseignement à l'étranger. Contraint par ses blessures d'embrasser un autre destin, il conserva en lui le besoin de « répondre à un appel obscur, momentanément étouffé, mais toujours prêt au fond de moi à reprendre ton et vigueur. » Il visite les grandes villes d'Afrique du Nord en 1934. Il parcourt le Canada durant quelques mois en 1939, de la
Gaspésie aux
Rocheuses, puis voyage en Afrique, précisément au
Sénégal, en
Guinée, au
Soudan (1947) et au
Niger quelques années plus tard (1954). De son voyage en Guinée naîtra
Fatou Cisse, un roman sur la condition des femmes en Afrique Noire, que Leopold Senghor saluera comme une oeuvre majeure. Il part également en
Suède en 1945, et au
Mexique en 1960.
Mais il restera avant tout séduit par ce Canada sauvage qui le ramène en tous points à son univers intérieur et à ses propres fondements : la forêt, le fleuve, mais aussi les bêtes libres.
Les romans-poèmes
Maurice Genevoix avouera sa préférence pour les « romans-poèmes » qu'il rédige aux Vernelles. Il confie : « chasseur d'instinct, de vocation, c'est la poésie que je guette », la poésie demeurant « le maître-mot » de son oeuvre. Les romans-poèmes, les uns après les autres (
Forêt voisine, la Boîte à pêche, La Dernière Harde, La Forêt perdue) laissent transpirer cette traque tout abandonnée « à la surprise heureuse » de lever la touche de poésie inespérée. Dans une interview relative à
la Forêt perdue, Maurice Genevoix reconnaîtra que cette poésie convole avec la magie, à laquelle elle s'unit d'elle-même. Il résume ainsi : « J'ai essayé de fixer cet au-delà des apparences qui ressemble à ce que l'on sent. »
Le songe n'est jamais loin dans cette partie de l'oeuvre de Genevoix. « L'histoire que voici, je l'ai rêvée à partir d'un mot », prévient-il en préface de La Forêt perdue. Les décors aquatiques, dans plusieurs autres romans, invitent volontiers à la poésie des eaux vives et des mouilles profondes, mais également au rêve : « Les pêcheurs enfantés par les eaux, je les ai vus toute ma vie se déployer, se profiler, châtoyer, mêler leurs reflets, bouger doucement sur les horizons de mes songes. »
Cependant, le roman-poème le plus populaire de Maurice Genevoix reste La Dernière Harde, écrit en 1967 par un écrivain parvenu au sommet de son art. « Malgré un sujet presque sans péripéties, par le seul jeu du piqueux et de l'animal royal à travers mille vitalités des bois, Maurice Genevoix touche ici à une sorte de grandeur épique. » Maurice Genevoix fera partie des premiers comités de la Société des poètes et artistes de France à la fin des Années 1950 et au début des Années 1960.
Les thèmes
L'enfance
Maurice Genevoix reste à jamais marqué par son enfance où il trouve une source d'inspiration inépuisable. « Il suffit que j'y songe encore pour retrouver une très lointaine ivresse : de joie de vivre, d'augmentation de l'être, de capiteux et éternel printemps. Et comment me tromper à ce délicieux vertige ? C'est l'enfance ! », livre-t-il dans
Jeux de glaces. Ajoutant plus loin : « C'est de l'enfance que je voudrais me réclamer, de son élan, de sa façon loyale et généreuse, ardente aussi, d'aller devant, de s'oublier ». Pour conclure enfin : « J'ai été un enfant avide, véhément et passionné. » Plus tardivement, il comparera l'enfance à une « plaque hypersensible ». »
Rares sont ses romans qui ne font pas directement référence à son enfance. Rémi des Rauches (1922) puis la Boîte à pêche (1926), remettent à jour des souvenirs d'enfance collectés sur les bords de la Loire, aux lieux-dits chargés de tendresse, comme la Ronce, le Chastaing ou l'Herbe Verte. Les Compagnons de l'Aubépin (1938) rapportent également le séjour au bord de l'eau d'un groupe de jeunes garçons. Mais c'est aussi les derniers écrits de Genevoix que l'on peut découvrir les peintures les plus fidèles de son enfance.
L'amitié
Genevoix célèbre l'amitié d'un bout à l'autre de son oeuvre, du Porchon de
Sous Verdun (1916) au d'Aubel de
Un Jour (1976). Les mots « accord » ou « consentement » parsèment de loin en loin ses écrits. C'est cette même amitié, ce lien organique, qui l'unit à la nature, et en particulier aux bêtes. « Ne regardez pas votre montre, c'est un tic des gens qui s'ennuient », prévient d'Aubel, le gentilhomme campagnard de
Un Jour, quand il ne s'agit que de s'accorder au temps de la nature, de concéder au rythme lent des saisons et des cycles naturels, mais aussi au temps de l'amitié. Ceux qui ont côtoyé Maurice Genevoix témoignent unanimement de la chaleur amicale avec laquelle il s'exprimait. Aussi sera-ce à nouveau par des formulations amicales célébrant les liens unissant les hommes qu'au soir de sa vie, il évoquera ses souvenirs dans une série de biographies.
La mort
Il fait une première expérience de la mort à quatre ans, durant l'hiver 1894, alors qu'il contracte le croup, ce « monstre hideux, épervier des ténèbres ». « La mort était là » mais elle continuera de hanter toutes les oeuvres de Genevoix. À neuf ans, il voit pour la première fois « couler le sang », le sentant refroidir et se figer autour d'une jambe brisée qu'il s'agit de guérir, amené là dans l'échaudoir d'un boucher. « Une médication de Bantou », lâchera-t-il l'année précédant sa propre mort. Il évoquera à nouveau ce contact de l'enfance avec le sang dans la
Boîte à pêche, le sang caillé servant alors d'amorce pour attirer les poissons. À douze ans, la perte de sa mère révèle de beaucoup plus près la cruauté des traits de la mort.
Mais c'est au front qu'il la côtoie sous sa forme la plus effroyable, car la guerre « est un domaine où l'on ne frôle pas, où l'on est proie, sans cesse repris, roulé sous la patte de la mort comme la souris sous la griffe du chat ». Il y fera l'expérience de ce « vide glacial » que laisse à ses côtés le compagnon fauché dans sa course, et qui ne cessera jamais de le poursuivre. Un épisode qu'il remettra notamment en scène dans La Dernière Harde où le Cerf rouge, fuyant avec sa mère sous les balles des chasseurs, sent à son tour contre lui « un vide glacial, extraordinairement profond, qui le suivait dans son élan ».. Il publie en 1972 un essai sur ce thème, La Mort de près, s'agissant d'une mort dont il s'attache à dépeindre l'approche, la fréquentation quotidienne, la presque familiarité. Là encore, il se pose en simple témoin. La mort y apparaît « comme une présence aussi réelle que, par exemple, celle d'un frelon qui va bourdonnant tout autour de votre tête, s'éloigne un peu, revient, vous horripile la peau du frôlement de ses ailes et qui, d'un instant à l'autre, peut piquer, va piquer. Et s'il pique... » Ainsi raconte-t-il « les façons qu'a la mort de banaliser ses atteintes, de semer les cadavres et de les transformer, peu à peu, en objets ordinaires, démythifiés de leur propre visage, des regards qui avaient croisé les nôtres, des voies que nous avions entendues »
Ne s'exprimant qu'à mi-mots sur ses propres convictions religieuses, sur la nature du monde sur lequel la mort ouvre ses portes, il évoque néanmoins cette « infime planète où nous sommes, mais où la beauté des choses n'est ce qu'elle est que si elle est divine, sous un ciel dont l'immensité soulève vers ses plages de lumière l'invincible espérance des hommes ». Dieu n'est que rarement nommé, mais il reste présent : « Qui eût pensé que la guerre et la mort, l'abominable pourrissoir des tranchées, en ces mêmes heures, à quinze kilomètres de là, continuaient d'être et d'insulter à Dieu ? »
La nature
Après la mort, revient la vie : « Pour vous, pour moi, c'est la mort qui a levé le voile. » Tous les romans de Genevoix sont un hymne à la vie, une « vie vivante », que révèlent seuls les yeux neufs, confiants en la vie, capables d'en reconnaître les signes qui, à l'évidence « sont partout ». Le vieil homme de
Un Jour, se souvenant, citera ce passage merveilleux écrit un demi-siècle plus tôt par un jeune lieutenant de 24 ans dans
Sous Verdun : « Au sortir de ce long cauchemar, une sente mouillée dans les bois, l'égouttis chuchotant des branches et, devant vous, soulevant une, deux feuilles mortes au vent rasant de ses ailes, une merlette brune qui file droit, longtemps, qui reste sous vos yeux jusqu'à la perte de vue, comme pour vous dire : La paix aussi existe. Il suffit du battement de mes ailes, ce matin, pour que le monde te soit rendu. Je suis la vie, merlette dans un boqueteau meusien. Suis-moi des yeux, je vole, je vole... Je suis aussi la poésie. Le monde est beau. »
Maurice Genevoix évoque avec complicité la vie animale. Hervé Bazin l'a parfois qualifié de « naturaliste lyrique », raccourci d'évidence inapproprié. S'il trouvait une partie de son inspiration littéraire dans le réalisme et le naturalisme, Genevoix n'était guère un naturaliste. C'est dans la justesse de l'évocation que tient le trait inégalé de Maurice Genevoix, beaucoup plus que dans ses connaissances de la faune et de la flore. Le prétendre « lyrique », c'est de surcroît mal dépeindre un auteur qui, au contraire, n'aura cessé de vilipender tout excès de style, toute profusion de sentiment. Tout le talent de Genevoix réside bien davantage dans son aptitude à capter les sensations du fond de l'être, y compris dans sa nature la plus proche de l'animal. Il s'exprime ainsi sur son métier de romancier : « C'est son privilège et sa damnation. Il doit être capable de se mettre à la place d'un autre vivant, d'un cerf, d'un chat,... ou de Madame Bovary. » En d'autres termes, « c'est simplement une autre adhésion au monde, une autre prise de vue sur le monde ».
Son oeil voit tout, son oreille entend tout, mais c'est sa capacité à restituer ses propres perceptions qui donne à l'auteur sa puissance d'évocation. Il sait figer l'envol d'un chevreuil à l'approche d'un talus, le déboulé du lièvre ou le trot menu du renard, pour en fournir une peinture vivante. La complicité avec l'animal dépeint est entière, et trouve probablement son apogée dans le Le Roman de Renard, dont le héros vulpin défendra aussi courageusement que Maurice Genevoix lui-même un indéfectible besoin de liberté. On l'a cru amoureux de la chasse. Il rétorque sans ambages : « confondre le nombre des chasseurs avec celui des permis de chasse, c'est se tromper du tout au tout » Au demeurant, la guerre lui a ôté le goût de la chasse qu'il reconnaît avoir eu pourtant « très fort, très vif » Il y retrouve avant tout son propre goût de la quête, y compris dans l'écriture de Raboliot, et il ne cesse de réprimer ce qui s'apparente à la tuerie, que représentera le Grenou de La Dernière Harde. Pour autant, la quête de Genevoix reste avant toute autre chose un simple consentement, « une fois pour toutes donné, cette prise sur le monde réel, cette prise bénie qui m'accorde à lui, à sa richesse, à sa bénévolence, à sa vie, à sa beauté immortelle ».
La mémoire
Maurice Genevoix reste pour une bonne part de ses livres le chantre de la mémoire, qu'il avait infaillible, le gardien de l'oeuvre générale de témoignage. Les mots qu'ils choisit célèbrent ce désir de mémoire, tel le titre donné à l'un de ses
Bestiaires, qualifié de
Bestiaire sans oubli. Au service de cette mémoire, il saura conserver de nombreuses traces de son enfance, notamment de cahiers scolaires, et gardera les feuillets qui jalonneront la composition de ses romans.
L'âge venant, l'homme devient de surcroît « comptable de ce qu'il est en mesure de transmettre ». Mais il s'avoue bien « davantage inspiré par le désir de perpétuer que par la nostalgie ». Cette mémoire lui est un instrument d'investigation mais aussi de perpétuation agrémentée d'une fidélité qu'il se refusera toujours de trahir. Il la met d'abord au service de ses camarades de guerre, mettant « toutes les ressources de l'instinct et du tempérament » au service de la mémoire des compagnons d'infortune. Pour lui comme pour d'autres, le devoir de témoigner s'impose : « plus ou moins consciemment mais avec la même force obscure, nous sentions en effet comme une obligation le même besoin de témoigner » (La Perpétuité). Il ajoutera quelques années plus tard : « Avoir fait oeuvre utile, servi la vérité, témoigné pour ma génération, avec désintéressement et avec talent, je n'en ai pas demandé davantage. »
Confiant en une alliée si sûre, Genevoix puise inlassablement dans sa mémoire. Il la sollicite amicalement, pour mieux la délier : « Qu'il est donc dur et serré, ce tissu de la mémoire ! On le touche, on l'effleure à peine, et le voici tout entier qui tremble. » Mais la mémoire, c'est également repousser l'emprise du temps : « Vous vous souviendrez de moi lorsque j'aurai fermé les yeux », lui dit Fernand d'Aubel dans Un Jour. Genevoix s'en explique dans un passage d'une profondeur rare, également tiré de Un Jour : « Je vous ai parlé de la mémoire. C'est qu'en cette seconde où je suis avant celle où je vais être, je suis aussi toute ma mémoire, celle qui sait plus de choses que je n'en ai assimilé. Ce jour que nous vivons ensemble, ne doutez pas qu'il n'enrichisse, pour vous, pour moi, le patrimoine intérieur où il viendra naturellement s'intégrer. La goutte qui tombe dans l'eau d'une vasque, dans l'instant même où elle s'y mêle et semble s'y anéantir, elle en suggère l'entière surface que sa chute vient d'émouvoir. Toute seule, elle est en effet perdue. Mais, ainsi intégrée, la voici du même coup toute retenue, toute gardée par la masse des millions de gouttes, des gouttes passées, qui dormaient au creux de la vasque. Et déjà les ondes qui tremblent, qui élargissent leurs cercles autour du point qu'elle a touché, que sont-elles, si elles ne sont l'avenir ? »
Les influences littéraires
Lectures d'enfance et d'adolescence
L'enfant reste indifférent au
Sans Famille d'
Hector Malot, de même qu'à
Jules Verne et la Comtesse de Ségur. Il s'avouera davantage marqué par
l'Enfant des bois, de Élie Berthet, un « médiocre tremplin » qui l'invitera à de premières rêveries, puis par le
Livre de la Jungle. Il exprimera sa reconnaissance envers Kipling en faisant apparaître son roman comme une lecture dispensée par le jeune instituteur intervenant dans
Les Compagnons de l'Aubépin.
Adolescent, le besoin d'écrire se manifeste sous la forme de premiers poèmes. Il découvre tout Daudet, puis tout Balzac, qu'il lit avec avidité. « Quelle boulimie, quelle goinfrerie », se rappellera-t-il. Il lit également Stendhal, Tolstoï et Flaubert. Devenu Normalien, il étudie Maupassant, qu'il apprécie « pour son honnêteté, son naturel, l'accord simple et constant qui livre sa vraie ressemblance, un art très sûr et secret dont l'absence d'ornements, l'apparente pauvreté assurent une justesse de ton au-delà de toute littérature ». On retrouve là, à l'évidence, les traits de l'écriture de Maurice Genevoix. Mais ce dernier se défend de retrouver là les signes d'une influence, au-delà de ce qui reste une simple communauté d'esprit. Si l'on retrouve l'ombre de Maupassant chez Genevoix, c'est à n'en pas douter sous un jour « moins amer, plus humain ».
Au lycée Potier d'Orléans, il a pour professeur de lettres Émile Moselly (Émile Chenin de son vrai nom), auteur de Jean des Brebis, prix Goncourt 1907. Celui-ci adressera à l'auteur frais émoulu de Sous Verdun une lettre émouvante datée du 28 mai 1916 : « Je désirerais savoir si l'auteur de Sous Verdun et le petit Genevoix, l'élève intelligent et vif que j'ai eu comme élève à Orléans, ne sont qu'une seule et même personne. Dans ce cas, permettez-moi d'embrasser tendrement et fortement le lieutenant Genevoix pour l'âme vaillante qu'il me révèle. Permettez-moi surtout de dire au Normalien Genevoix, qu'il est déjà un grand artiste, de la race des beaux écrivains, et que son maître un jour sera très fier de lui. »
Lectures universitaires
« Champion universitaire », selon les terme de
Joseph Kessel, Maurice Genevoix n'en préserve pas moins sa liberté d'écrivain, parfaitement conscient des limites de son art. Il se revendique simple « artiste », et « nul ne se souvient de l'avoir jamais vu participer à la moindre controverse littéraire », livre Kessel. Il se tient en retrait de la psychanalyse et raille volontiers les critiques qui croient déceler chez lui les clés de l'écriture de certains de ses romans. « Il y a d'autres clés que la psychanalyse », répond-il lorsqu'on l'interroge sur le sens de
La Forêt perdue. Tout au plus reconnaît-il un goût affirmé pour « la quête, l'exil, le Paradis perdu ».
Doté d'une très solide culture littéraire, il apprend bien vite à reconnaître « les substantielles connaissances ». Le reste ne l'intéresse guère. Il conduit son existence d'Académicien « sans tapage, avec une rare probité », et se complaît à demeurer « en dehors des chapelles littéraires ». Aussi se plaît-il à citer quelquefois Shakespeare : « Il y a plus de choses, Horatio, sur la terre et sous le ciel que n'en explique votre philosophie. » Il tient en horreur les idées générales, « qui masquent souvent l'indigence de l'observation, l'ignorance de ces mille petits faits vrais, parfois contradictoires, qui sont l'essence même de la vie ». Dans Un Jour, Genevoix cite Thoreau : « Nous savons plus que nous n'assimilons », rendant aussi honneur aux grands hommes « qui savent leurs limites d'homme, et s'en souviennent ».
Le style et l'inspiration
Une « solide astreinte universitaire » lui apprend à déjouer les leurres et artifice littéraires auxquels il n'acceptera jamais de céder. La volonté de témoigner l'accompagne tout au long de sa vie, d'abord sous la forme du récit où il relate les faits d'histoire dans leur exactitude objective, ensuite à la faveur des romans-poèmes où il s'attache à dépeindre les sentiments qui l'unissent à la nature, enfin en s'adressant plus directement à son lecteur pour lui faire part de sa « propre expérience d'homme ». Genevoix cède tout entier aux élans de la poésie, qu'il juge la mieux apte à célébrer la vie : elle demeure à ses yeux « une prise de conscience neuve, illuminante, comme d'un voile déformant qui s'écarte et laisse apparaître les choses dans leur réalité profonde, dans leur essence inexprimable, sauf peut-être par un mot : divine ».
Le sens de l'authenticité
Son mandat est sans ambiguité : « Écrire, c'est livrer à autrui ce que l'on croit avoir en soi de plus précieux et de plus rare. » Il se plaît à préciser : « Car si nos livres ne sont pas nous-mêmes, ils ne sont rien et ne valaient pas d'être écrits. » Ainsi Maurice Genevoix est-il conscient de sa singularité, de sa « façon propre de percevoir et de sentir ». Il revendique le don de création, le besoin d'« animation », et raille volontiers les fabricants de « poudre aux yeux », de « feux d'artifice », cédant trop aisément aux « tentations de la virtuosité ». Admirant chez cet écrivain « une prose aisée, simple, malgré sa science », Christian Melchior-Bonnet dira de lui : « Il a le don de rendre par le mot plein et dru, mais chargé de prolongements poétiques, une atmosphère réaliste ».
Mais Maurice Genevoix est de surcroît doté d'un sens élevé de l'authenticité. Il est « riche de ce don de l'enfance qui consiste à voir les choses dans la fraîcheur de leur création », commentera Joseph Kessel Il fut il est vrai, dès sa plus tendre enfance, initié par les « simples ». Ainsi dira-t-il de Daguet, un valet piqueux, qui deviendra La Futaie dans La Dernière Harde, puis La Brisée dans La Forêt perdue, qu'il lui a appris « à lire sur la feuille morte, dans la coulée de glaise, sur la grève du ru forestier ». Il en conservera à jamais le sens des signes, qu'il relève partout au cours de ses promenades.
La talent pictural et la cadence des mots
Maurice Genevoix produit une écriture au grain serré, cadencée, animée d'une respiration profonde et calme. Le mot est remarquablement sûr. Aussi ses manuscrits ne sont-ils que peu raturés. « Mais cela ne prouve qu'une chose, précise-t-il : c'est que je ne fixe la phrase, noir sur blanc, qu'après l'avoir élaborée mentalement, orientée, affermie, retouchée. Les ratures, les corrections, ne sont guère qu'une dernière toilette : comme on lime ou polit les bavures, après la fonte. » Telle la
Loire qui roule ses eaux, une musique sourde et lente anime le texte. Joseph Kessel y voit « un style de grande cadence », mais il s'agit d'une « cadence intime » Cette musique, ce rythme, participent d'un roman à l'autre de ce même chant, reconnaissable entre tous, qui est la signature même d'un grand écrivain.
La richesse du vocabulaire, qui intègre volontiers des termes régionaux ou de l'ancien Français, contribue à renforcer le charme d'une écriture très sûre. On lui reprochera parfois une virtuosité sémantique, un « excès verbal » qu'il reconnaitra lui-même dans certains de ses romans, notamment à propos des dernières pages de Sanglar. C'est cependant immanquablement par la précision du vocabulaire, qui elle seule permet de nommer sans déformer, sans trahir, que Genevoix entend assurer le rôle de témoin qu'il s'est assigné. Au reste, Maurice Genevoix se garde d'en abuser. Il lui eût été aisé, dans ses romans du Moyen-Age (Le Roman de Renard et La Forêt perdue) d'y recourir abondamment ; à la magie des mots, il a vontiers préféré l'exactitude de la narration.
Musée Maurice Genevoix
Son domicile de Saint-Denis-de-l'Hôtel, les Vernelles, reste une demeure familiale à l'écart du village. Sur la place de l'église (Place du Cloître), une vieille maison vigneronne a été transformée en musée. L'entrée en est libre et assurée les samedi, dimanche et jours fériés, de 10 h à 12 h, et de 14 h à 18 h.
Une exposition permanente sur l'écrivain s'appuie sur la présentation de panneaux thématiques abondamment illustrés et nommés comme suit, dans l'ordre d'une visite en sept étapes : (1) l'Enfance, (2) la Guerre, (3) l'Écrivain, (4) Les Vernelles, (5) le Val de Loire et la Sologne, (6) l'Académicien français, et (7) un Univers enchanté. Des expositions temporaires sont présentées au premier étage. Une extension de la salle d'exposition est prévue.
Adaptations cinématographiques ou télévisées
Plusieurs romans de Maurice Genevoix ont été portés au grand ou au petit écran.
- Raboliot (1945), de Jacques Daroy, avec Julien Bertaud dans le rôle du braconnier, Blanchette Brunoy et Lise Delamare.
- Raboliot (1972), film télévisé de Jean-Marie Coldefy, avec Pierre Rousseau dans le rôle principal, Christian Bouillette et François Dyrek.
- Vaincre à Olympie (1977), film télévisé réalisé par Michel Subiela et produit par Antenne 2, avec Jean Marais et Thierry Dufour.et Claude Brosset.
- Marcheloup (1981), film télévisé produit par Antenne 2.
- Lorelei (1981), film télévisé produit par Antenne 2.
- Raboliot (2007), film télévisé de Jean-Daniel Verhaeghe, avec Thierry Frémont dans le rôle principal, Thierry Gibault, Aurélie Bargeme et Julie Voisin.
Biographies et études
- Luc Marcy (1974) - Les bestiaires de Maurice Genevoix. Thèse de Doctorat Vétérinaire. Université Paul Sabatier.
- A. Krieger (1974) - L'expression de la vie dans l'oeuvre de Maurice Genevoix. Université de Strasbourg II.
- Gaston Pouillot (1988) - Maurice Genevoix et Châteauneuf-sur-Loire. CRDP d'Orléans.
- Claude Imberti (1993) - Genevoix a bâtons rompus. Editions Paradigme.
- Benoît Hérique (1998) - Le Canada dans l'oeuvre de Maurice Genevoix : sources, thèmes, langages.
- Sylvie Genevoix (2001) - Maurice Genevoix. La maison de mon père. Editions Christian Pirot.
Production littéraire exhaustive
Les oeuvres de Maurice Genevoix ont été éditées chez
Flammarion,
Le Livre Contemporain,
Plon,
Le Seuil,
Grasset,
Les Étincelles,
Gallimard,
Bibliothèque des arts.
- Sous Verdun, août-octobre 1914 (1916), édition originale (Coll. Mémoires et récits de guerre), Paris, Hachette.
- Nuits de guerre (Hauts de Meuse) (1917), édition originale, Paris, Flammarion.
- Au seuil des guitounes (1918), édition originale, Paris, Flammarion.
- Jeanne Robelin (1920), édition originale, Paris, Flammarion.
- La Boue (1921), édition originale, Paris, Flammarion.
- Rémi des Rauches (1922), édition originale, Paris, Garnier-Flammarion, réédité en 1993 par Flammarion.
- Les Éparges (1923), collection originale, Paris, Flammarion, réédité dans la collection Points Romans par Le Seuil.
- Euthymos, vainqueur olymique (1924), édition originale, Paris, Flammarion ; nouvelle version sous le titre Vaincre à Olympie (Coll. Roman), Paris, Le livre Contemporain (1960).
- La Joie (1924), édition originale, Paris, Flammarion.
- Raboliot (1925), édition originale, Paris, Éditions Grasset & Fasquelle|Grasset (Prix Goncourt).
- La Boîte à Pêche (1926), Paris, Éditions Grasset & Fasquelle|Grasset.
- Les Mains vides (1928), édition originale, Paris, Grasset-Seuil
- Cyrille (1929), édition originale, Paris, Flammarion, réédité sous le titre La maison du Mesnil par Le Seuil.
- L'Assassin (1930), édition originale, Paris, Flammarion.
- Forêt voisine (1931), édition originale, Eaux-fortes, Paris, Société de Saint-Eloy ; réédité en 1933 par Flammarion.
- H.O.E. (1931), édition originale (collection des Témoignages de combattants français, 8e livre), Paris, Les Étincelles.
- Rroû (1931), édition originale, Paris, Flammarion.
- Hommage à Charles Péguy, par Marcel Abraham, Maurice Genevoix et autres, Paris, Gallimard.
- Gai-l'amour (1932), édition originale, Paris, Flammarion ; réuni sous le titre Deux fauves (1973) par les éditions Plon.
- Marcheloup (1934), (Un homme et sa vie, tome I), édition originale, Paris, Flammarion.
- Tête baissée (1935) (Un homme et sa vie, tome II), édition originale, Paris, Flammarion.
- Bernard (1938) (Un homme et sa vie, tome III), édition originale, Paris, Flammarion.
- Le Jardin dans l'île (1936), édition originale, Paris, Flammarion.
- Les Compagnons de l'Aubépin (1938), Livre de lecture courante, Edition originale, Paris, Hachette, réédité en 1950 chez Flammarion.
- La Dernière Harde (1938), édition originale, Paris, Flammarion ; réédité en 1988 par Garnier-Flammarion.
- L'Hirondelle qui fit le printemps (1941), édition originale, Paris, Flammarion.
- La Framboise et Bellehumeur (1942), édition originale, Paris, Flammarion.
- Canada (1943) Flammarion.
- Eva Charlebois (1944), édition originale, Paris, Flammarion.
- Sanglar (1946), édition originale, Paris, Flammarion, Plon ; réédité sous le titre La Motte rouge en 1979 par Le Seuil.
- L'Écureuil du Bois-Bourru (1947), édition originale, Paris, Flammarion.
- 63° 30 (1947), nouvelle dans France-Illustration littéraire et théâtrale, n° 7, sept. 1947, Paris.
- Afrique blanche, Afrique noire (1949), édition originale, Paris, Flammarion.
- L'Aventure est en nous (1952) Flammarion
- Fatou Cissé (1954) Flammarion
- Vlaminck (1954) Flammarion
- Le Roman de Renard (1958) Plon (Réédité en 1991 par Garnier-Flammarion)
- Route de l'aventure (1959) Plon
- Mon ami l'écureuil (1959) Bias
- Au Cadran de mon clocher (1960) Plon
- Jeux de glaces (1961) Wesmael-Charlier
- Les Deux Lutins (1961) Casterman
- La Loire, Agnès et les garçons (1962) Plon
- Derrière les collines (1963) Plon
- Beau François (1965) Plon
- Caillard (1965) Bibliothèque des Arts
- La Forêt perdue (1967) Plon
- Images pour un jardin sans murs (1967) Plon (Réédité en 1968 sous le titre Le Jardin dans l'île, Jardin sans murs par Plon)
- Tendre bestiaire (1969) Plon
- Bestiaire enchanté (1969) Plon
- Bestiaire sans oubli (1971) Plon (Ces trois bestiaires ont été réunis par Plon en 1972 dans une édition illustrés par l'auteur)
- La Grèce de Caramanlis (1972) Plon
- La Mort de près (1972) Plon
- La Perpétuité (1974) Julliard
- Un Jour (1976) Seuil
- Loreleï (1978) Seuil
- Trente mille jours (1980) Seuil. Autobiographie.
- L'Enfant et le château (1980) Ed. d'Art J.Danon
- La Chèvre aux loups (1996, publié à titre posthume) Gautier-Languereau. Ce roman fait partie de la listedes oeuvres de littérature de jeunesse officiellement recommandées par le Ministère de l'Éducation Nationale, dans la catégorie Romans et Récits illustrés.
Liens externes
Notes et références
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Précédé par Joseph de Pesquidoux | Fauteuil 34 de l’Académie française1946-1980 | Suivi par Jacques de Bourbon Busset |